L’eau, ses ressources par Esther Crauser-Delbourg

L’eau, ses nombreux usages, sa tarification, sa gouvernance, sa préservation, est-ce vraiment clair comme de l’eau de roche ?

C’est un fait, plus de 2 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à de l’eau potable au quotidien selon l’ONU et sont privées de ce droit fondamental. La réalité de ce drame humanitaire et les impacts du dérèglement climatique – qui rabat les cartes avec une eau qui ne tombe plus nécessairement au bon endroit, au bon moment, dans les bonnes quantités…

Une réalité tangible qui pointe l’urgence de plus de discernement, de plus de connaissances, de meilleurs usages de l’eau, d’une tarification adaptée aux nouveaux défis de l’eau et de nouvelles gouvernances pour une ressource longtemps considérée comme inépuisable.

Si, selon Esther Crauser-Delbourg – économiste de l’eau -, la quantité d’eau sur Terre reste globalement stable, en miroir, on en consomme beaucoup plus qu’avant et plus rapidement, tout en la polluant davantage creusant ainsi un déséquilibre humanitaire , écologique et économique.

Eau domestique, eau économique, eau cachée, coût réel de l’eau, usages à repenser, nouvelles stratégies de l’eau à déployer, gouvernance et gestion de l’eau à optimiser… Les solutions existent, mais leur application requiert déjà plus d’informations, de clarté, des prises de conscience, d’autres politiques économiques et un engagement collectif (citoyens, industriels, agriculteurs, gouvernement…).

« Nous avons tous les moyens pour réduire notre empreinte eau de 10% à 30 % sans toucher à notre confort et ce faisant, se rendre beaucoup moins vulnérables aux aléas climatiques (sécheresses, inondations…). Mais il faut s’y atteler. ».

Esther, experte sur les sujets de l’eau (avec un parcours business et économique, notamment en économétrie – dont le but d’estimer et de tester les modèles économiques) et docteur en économie sur les conflits de l’eau et sur l’empreinte de l’eau pour l’agriculture et pour l’industrie, a répondu aux questions de Sembrancher et nous partage son regard ciblé et très éclairant sur un sujet vital à tous points de vue.

La quantité d’eau sur Terre est stable, notre consommation beaucoup moins

Une consommation multipliée par 7 en 100 ans

« On a toujours pensé que l’eau était une ressource infinie. Même si la quantité d’eau reste globalement stable sur Terre, le déséquilibre vient désormais de nos usages car on consomme beaucoup plus rapidement qu’autrefois. Notre consommation d’eau a été multipliée par 7 depuis les années 1900, alors que notre population n’a fait que tripler. On utilise plus d’eau par personne et on l’utilise plus vite.  Forcément, il va y avoir un problème dans la durée. »

Plus d’eaux polluées

« Ensuite, il y a le problème de la pollution : nos ressources en eau et nos sols dans le monde entier portent l’empreinte de tous nos activités économiques (agriculture, industrie…) et de nos villes. Et cette pollution augmente de façon exponentielle chaque année. »

Un cycle de l’eau perturbé par l’humain et ses usages

« Même si rien ne se perd, le cycle a été complètement perturbé par l’Humain, et de cette perturbation, une chose a changé : on ne peut plus être certains des conditions d’accès à l’eau chaque année pour bon nombre de populations.”

90 % de l’eau ne sert pas à nos usages domestiques et vitaux

Un chiffre qui spontanément bouscule et questionne. Et qui de fait change immédiatement notre conscience d’un usage souvent méconnu d’une ressource vitale longtemps considérée comme principalement dédiée à nos besoins humanitaires. Esther le souligne avec force, il est crucial de bien distinguer l’eau domestique de l’eau économique. Les usages, les enjeux, les gouvernances, leur gestion et bien entendu leurs coûts sont différents, tout comme leurs impacts sur notre environnement.

« On ne dispose pas de mécanismes qui nous permettent de gouverner l’eau. Ça m’a d’autant plus frappée quand j’ai compris le concept de ce qu’on appelle « l’eau virtuelle », quand j’ai compris la quantité d’eau nécessaire dans le monde pour produire l’ensemble de nos biens économiques. Un chiffre est frappant et à retenir : 90 % de l’eau ne nous sert pas à boire, ou à nous laver, ou encore à tirer la chasse d’eau, mais à produire des biens économiques, donc de l’agriculture, de l’industrie et de l’énergie ».

En 2010-2011, elle se lance dans l’étude de ce phénomène à un moment où cette crise économique n’est pas encore généralisée.

« J’ai essayé de voir si l’eau circulait dans le bon sens. J’ai réalisé beaucoup de statistiques appliquées à l’eau, à une époque où les sujets de l’eau n’étaient pas encore très problématiques en France et en Europe. Ils me semblaient pourtant cruciaux et la littérature économique était davantage consacrée à l’énergie et, de plus en plus, au carbone. J’ai été surprise par le manque d’études sérieuses sur la comptabilité de l’eau versus le pétrole par exemple, alors que le manque d’eau serait bien plus dommageable que le manque de pétrole. Le fait que l’on ne dispose pas de mécanismes qui nous permettent de gouverner l’eau a retenu toute mon attention”.

L’eau est présente dans tout

campagne de communication-gouvernement des pays bas
campagne de communication-gouvernement des pays bas

D’un côté, il y a la consommation d’eau directe quotidienne : nos besoins sont entre 1,5 et 2 litres par jour.
L’ONU estime qu’il faut 50 litres par jour pour maintenir la dignité humaine, pour la préserver. Les moyennes des pays européens sont plus près des 150 litres d’eau par jour par personne pour nos besoins humains : se laver, cuisiner, tirer la chasse d’eau, etc.

Et puis après, il y a « l’eau virtuelle » qui représente de 4 000 à 5 000 litres d’eau par jour à travers tout ce qu’on mange, à travers nos habits, les biens que l’on consomme, achète.

source-Water Footprint Network
source-Water Footprint Network

« Il y a l’eau que l’on boit tous les jours, l’eau pour nos besoins domestiques, mais aussi l’eau cachée, qui a une empreinte très forte sur tous nos objets. » Manger de la viande, c’est consommer plus de 2 000 litres d’eau en une journée. Porter des habits en coton provenant d’Asie, par exemple, représente plusieurs milliers de litres d’eau sur soi. Le gouvernement hollandais avait lancé une campagne de communication assez forte disant que si les citoyens payaient le vrai prix de l’eau : 1 litre de soda reviendrait alors à 80 dollars, un morceau de saumon à 100 dollars. Les impacts sur toutes les denrées et tous les produits, sur toute l’économie seraient colossaux ».

L’eau économique devrait être un bien établi

« Dans les plans d’aménagements, les pays ont souvent caché les tuyauteries pour ne pas les voir. Autrefois, les métiers de la plomberie, n’étaient pas des métiers attractifs… L’eau a longtemps été réduite à quelque chose de caché, de pas noble. Pour autant, c’est une ressource extrêmement précieuse. On devrait l’honorer et mieux la tarifer. Le prix de l’eau pour les industriels ou les agriculteurs est très compliqué à déterminer, parce qu’ils ne suivent pas une grille tarifaire complètement officielle. Au regard des volumes prélevés, ils ne peuvent pas avoir des tarifs similaires à ceux appliqués pour les usages domestiques, sinon leurs modèles économiques s’effondreraient. C’est un fait : l’eau n’est pas assez chère, les administrations manquent d’argent pour financer leurs infrastructures, mais comment faire pour effectivement amener les industriels, les agriculteurs à payer le vrai prix de l’eau ?

Elle crée de la valeur. Il est déraisonnable du jour au lendemain d’augmenter de façon conséquente le prix à payer, cela ne fonctionnerait pas. « Il est préférable de trouver une façon progressive d’augmenter le prix de l’eau, de trouver des incitations à mieux l’utiliser ».

Des solutions existent pour une gestion et un usage optimisés de l’eau

La sobriété : produire pareil ou avoir le même confort avec moins d’eau

La même expérience mais avec moins d’eau

Selon Esther, 20 à 30 % de réduction de l’empreinte eau est possible aujourd’hui sans impacter le confort des citoyens. « On peut le faire à la maison, mais on peut aussi dans l’agriculture et dans l’industrie. Mais, contrairement à l’électricité que l’on compte, on n’a jamais vraiment compté l’eau. Inciter à plus de conscience et inciter à changer ses usages sont des leviers. La même expérience avec moins, on sait le faire. À la maison, beaucoup d’actions permettraient de réaliser facilement des économies de 10 à 40 litres par jour. Réduire sa douche d’une seule minute, c’est 10 et 20 litres d’eau de moins de consommé. Recycler est un levier pour moins consommer d’eau (eau de rinçage de la vaisselle conservée pour alimenter des plantes, l’eau de rinçage des légumes gardée pour rincer la vaisselle…). 

« C’est possible d’agir au niveau des foyers, car c’est plus contrôlable. En revanche, agir au niveau des acteurs économiques s’avère plus complexe, parce qu’on a moins de connaissances de leur utilisation, des réseaux, parce que c’est une utilisation plus massive, etc. »

Améliorer la productivité de l’eau

« C’est possible en agriculture, notamment avec des pratiques d’agroforesterie, qui consistent à aider nos sols à mieux garder leur eau, notamment pour se protéger des sécheresses ou avec de la micro-irrigation. C’est possible aussi en industrie avec la mise en place, notamment, de boucles de recyclage internes ou de boucles fermées, de façon à ce que l’industrie nettoie sa propre eau localement et la réutilise. »

Recourir à des eaux non convention

L’eau conventionnelle, c’est quand on ouvre le robinet. L’eau non conventionnelle, c’est de nouvelles sources, telles l’eau de pluie ou les eaux grises par exemple. Utiliser l’eau grise, c’est recourir à une nouvelle forme d’eau : nettoyer l’eau et la réutiliser. Tout comme le stockage des eaux de pluie, la réutilisation des eaux usées et parfois même la désalinisation (qui n’est pas pour autant une solution miracle, car elle peut aussi avoir un impact écologique).

La stratégie économique

Prendre des décisions parfois difficiles, comme : décider de s’adapter à la saisonnalité pour utiliser moins d’eau en plein été quand tout le monde en a besoin, potentiellement revoir nos systèmes de cultures :

« Est-ce que la culture de l’olivier, qui demande moins d’eau, va remonter petit à petit en Europe ? », « Est-ce qu’on va progressivement transitionner du maïs vers des cultures qui demandent moins d’eau dans des régions vulnérables ? ». C’est une démarche à la fois politique, stratégique et économique. De la même façon, il faut faire attention à l’eau avant de construire une nouvelle usine Ce sont des éléments que l’on ne regardait pas avant. De plus en plus, dans le monde entier, l’état des nappes phréatiques rentre dans les processus de due diligence avant d’investir dans un site de production. « Les choses changent petit à petit, mais il reste énormément d’actions à mener pour tendre vers une réduction de notre empreinte eau de 30 % et moins s’exposer aux dérèglements climatiques comme à ses impacts. »

2 grands enseignements à retenir

Toujours selon Esther, 2 points sont à retenir :

« Un retard conséquent a été pris dans la gouvernance de l’eau, dans sa tarification, notamment parce que l’on n’a pas distingué assez tôt les sujets humanitaires (les sujets domestiques) des sujets économiques de l’eau. Globalement, nos activités économiques ont déjà eu une empreinte forte sur les quantités et les qualités d’eau ».

« On a transformé notre rapport à l’eau, et on se rend compte désormais que l’eau dans nos foyers est impactée par les activités économiques, avec des messages un peu négatifs qui circulent : « Est-ce que l’eau est de bonne qualité ? », « Est-ce que les eaux minérales ne sont pas elles-mêmes impactées (confère les différents scandales de l’eau comme celui de Nestlé…) »

En conclusion, 2 messages clés émergent, l’un réaliste et l’autre positif

Esther Crauser-Delbourg nous apporte en guise de conclusion deux messages de fond, l’un pragmatique et l’autre encourageant, qui incitent à plus de prises de conscience et de responsabilités …

Le discernement

« Le premier message réaliste est qu’il est crucial de comprendre enfin clairement qu’il y a l’eau pour nos usages domestiques et l’eau pour nos usages économiques. Que globalement nous avons beaucoup perturbé les cycles de l’eau et qu’il est désormais crucial d’être très attentif aux sources de nos eaux : veiller à les préserver, à prendre soin de leurs cycles en général. Pour tous les types d’eau (industrielle, agricole, domestique, eau minérale), il faut avoir en clarté que, quand on prélève de l’eau sur un site, ce n’est pas anodin. On a un impact sur la planète, sur notre propre santé, et donc une responsabilité. Quand on prend de l’eau quelque part, il faut toujours être conscient qu’on n’est pas seul à la prendre ni seul à l’utiliser. Que non seulement il y a des voisins, mais aussi la nature. Boire de l’eau de façon responsable, c’est se demander d’où elle vient.»

Toutes les solutions sont là

« Le message très positif, c’est que contrairement au carbone, qui nous a beaucoup occupés durant des années, pour l’eau, on dispose de toutes les solutions. Ça ne veut pas dire que ce sera facile, mais potentiellement, on a tout ce qu’il faut pour réduire de 30 % notre « empreinte eau » dans le monde entier, dans un budget abordable. En faisant ça, on aura quand même résolu une bonne partie des problèmes. On ne peut pas en dire autant de la problématique carbone, donc c’est vraiment très positif.

 Rappelons-nous que sans eau, il n’y a pas d’agriculture, pas d’activité économique, pas de biens. Sans eau, la plupart des choses que vous avez devant vous, à ce moment précis, n’existeraient pas. Donc, nous allons être dans l’obligation (par la contrainte réglementaire ou physique) d’enclencher le changement.»

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